Buchvald & Paccoud

 

CB

 Au début comment es-tu entré dans Le repas ?

 

 CP

 Je suis venu à la demande de France Culture pour l’enregistrement public dont tu avais la charge et je me souviens t’avoir dit « je ne suis pas musicien » et tu m’avais répondu « ça m’intéresse ! » J’ai pensé sur le coup que cette aventure avait l’air intéressante ! Il s’agissait pour moi de chanter une chanson de Damia « Ne dis rien » que Valère Novarina avait placé entre deux scènes. Nous avions une semaine de répétition et en fait de chanter une chanson, je me suis mis spontanément à placer d’abord des musiques en fond sonore sur certains textes, puis à mettre en musique directement des pans entiers de texte, la première chanson fut « Charrette qui t’en va ». L’écriture de cette chanson est partie d’une blague à l’occasion d’une pause d’ailleurs, nous nous sommes mis à improviser un air de variété française exagérément populaire en imitant les groupes des années 70 ! A la reprise de la répétition nous nous sommes remis à la chanter (pour rire) et à mon grand étonnement tu as trouvé ça bien et tu as décidé de le garder pour la représentation. C’est peut-être là que tout à commencé ! J’avais devant moi une metteuse en scène qui s’intéressait tout à coup au rapport « musique-texte » qui existe depuis la nuit de temps entre la poésie et la musique populaire. Il ne s’agissait pas là de la place de la « musique » chez Novarina mais bel et bien de la « musique populaire »

 Nous venions de comprendre que la chanson pouvait réveiller le poème.

 

CB

 Et là m’est revenu tout le travail que je faisais sur les comptines de façon hybride à l’université et que je n’osais pas intégrer dans le spectacle mais que j’avais quand même retrouvé dans l’écriture de Novarina. Le pire c’est que nous avons été jusqu’au bout de la comptine en y rajoutant la gestuelle, façon « dans sa maison un grand cerf »

 

CP

 En fait ce fut assez facile de commencer ce chemin, cette rencontre puisque le premier spectacle était un repas, une fête donc et que nous nous retrouvions dans la situation des gens qui chantent à la fin du repas de noce ou d’anniversaire. Les musiques du repas ont donc été écrites de manière très instinctive, elles n’étaient pas recherchées, travaillées, harmonisées. Les acteurs chantaient un peu comme quand on se souvient d’une chanson mais pas en entier ! Je suis même allé jusqu’à donner des musiques aux acteurs par rapport à leur propre histoire. Par exemple Nicolas Struve était russe alors je lui ai écrit une musique slave, Dominique Parent était du Nord, je lui ai écrit une musique façon « Ch’ti » etc… Ainsi nous touchions du doigt l’essentiel de ce qui allait devenir notre chemin : ce ne sont pas les acteurs qui chantent de façon démonstrative mais les « p’tits bonhommes » qu’ils incarnent. Faut dire que je crois depuis longtemps que manger, boire et chanter vont ensemble et que le repas est le premier théâtre que l’on rencontre dans sa vie, avec son cérémonial et ses fantaisies, c’est là qu’on entend pour la première fois sa grand-mère chanter des chansons qu’on aurait jamais imaginé qu’elle puisse chanter !

 En fait sur Le repas, je me suis dis « on va y aller doucement ». Puisque le théâtre m’invite dans son monde et que j’ai la chance d’avoir une metteuse en scène qui me laisse faire, « allons-y prudemment ». Je savais qu’on irait loin mais je ne voulais pas aller trop vite. Je suis même allé réveiller de vieux airs à moi comme par exemple « le monde est absent ».

 

CB

 Le monde est absent, on aurait dit une musique de Brecht

 (notons au passage que Claude Buchvald dit Brecht et non Kurt Weill »

 

CP

 Oui, merci ! en fait c’était une chanson qui s’appelait « le sang de la vie » et qui montrait une naissance, un accouchement ! Comme quoi ! En fait je ne faisais que suivre la route de nos anciens qui écrivaient des chansons sur ce qu’on appelait les « timbres ». Les timbres, ce sont des airs faciles à retenir qui forment les couplets ou les refrains des chansons. Dans le temps les ouvriers, les amoureux posaient des textes sur ces petits airs et du coup les retenaient facilement. Il existe un recueil de ces petits airs qui s’appelle « la clé du caveau » et dans lequel on trouve environ 2800 airs ! Au théâtre je me suis fait mes timbres à moi, je m’en suis écrit pleins, en me servant de ma propre mémoire. Puis j’ai procédé comme on procédait il y a deux siècles, en posant les textes de théâtre sur ces petits airs. Ainsi pendant que Valère écrivait l’Opérette Imaginaire moi je faisais des provisions d’airs. Pendant que Valère marchait son texte dans sa montagne, moi j’avais repeint ma maison !

 Pour l’Opérette Imaginaire, Valère avait écrit des chansons dont la structure n’était surtout pas celle d’une chanson ! Il les écrivait la nuit, à part du reste du texte. Il les disait « idiots » et en même temps il disait que les chansons disaient tout ce qu’on ne pouvait pas dire en dehors, qu’elles étaient donc essentielles. Il fallait donc que je mêle mon petit savoir « populaire » à cette déstructuration, je m’apercevrai plus tard que ce travail est très près de la dramaturgie, de la mise en scène des mots. En fait, l’avantage que j’avais c’est que je ne connaissais pas le théâtre, que je le découvrais que je l’apprenais et que donc je n’avais rien à perdre !

 Au début, Valère me disait : « il faut que les chansons soient comme des assiettes cassées » et je lui avais répondu : « pour faire des assiettes cassées il faut d’abord faire des assiettes ! »

 Pour faire une chanson à partir d’un texte de Novarina, je le sortais de son contexte, je l’isolais puis j’essayais de lui donner l’allure d’une chanson soit en faisant des blocs de huit lignes, six lignes etc… Puis je décidais de lui donner une couleur, un rythme un peu comme on habille un enfant. Le problème avec Valère c’est qu’il pouvait changer le texte en cour de composition et qu’ainsi je pouvais me retrouver avec une ligne en moins, une syllabe etc… C’est ainsi qu’est né le fameux « poum-poum » de l’Opérette que Valérie Vinci jouait à la grosse caisse dans une apparition fulgurante : Valère m’avait oté deux pieds à la chanson qui ouvrait la deuxième partie et nous en étions à la dix-septième version et ça tenait pas mal la route alors j’ai remplacé les deux pieds manquant par deux coups de grosse caisse ! Comme quoi un effet peut naître de l’absence, comme une tache de peinture sur un tableau peut tout éclairer sans qu’on l’ait cherché, il faut juste savoir le repérer et le garder.

 Plus tard, sur l’Espace Furieux en 2006 je découvrirai que chez Novarina la rime est parfois placée à l’intérieur de la phrase, comme une lumière au milieu des mots, une fois qu’on a compris ça et qu’on est sorti de la convention grammaticale on touche immédiatement au pur génie.

 Une autre chose importante que je pense avoir apporter à votre travail, c’est mon « savoir » de chanteur, mon « savoir » de tour de chant qui ressemble (encore une fois) à la dramaturgie c’est à dire savoir mettre les choses en ordre avec la chanson qui attire l’écoute, celle qui résout, celle qu’on jette, celle que le spectateur croit avoir entendu, celle qu’il croit connaître etc… Et là, il faut bien dire que nous étions vraiment sur la même longueur d’onde : ça collait immédiatement un peu comme on respire.

 Si on réécoute la musique l’Opérette Imaginaire tranquillement, dans un fauteuil et sans les acteurs, on s’aperçoit qu’il y a plusieurs trames musicales, plusieurs petites assiettes glissées de-ci de-là dans les chansons, que le spectateur entend sans l’entendre. La base de la musique de l’Opérette, j’ai voulu qu’elle soit aussi simple et pauvre que les petits bonshommes qui la portaient et c’était tout simplement la gamme (do ré mi fa sol la si do) qui venait s’étaler de temps en temps au beau milieu d’un drame où les acteurs avaient même le droit de chanter faux.

  Nous avons même été jusqu’à faire faire de la musique à la palissade de bois qui d’un seul coup répétait la musique du mort.

 

CB

 Ce qui était très étonnant pour moi c’est que tout ce que tu proposais, comme faire chanter la palissade, les pieds des acteurs etc.… c’était très très proche de mon travail et que nous étions en train de faire tout d’instinct, tout était organique !

 

CP

  Peut être aussi qu’on vit dans un univers culturel où on a oublié que la chanson c’est du théâtre, que la chanson c’est le petit théâtre des petites gens, que c’était le seul moyen de communiquer pour les gens qui ne savaient ni lire ni écrire mais qui savaient très bien dédramatiser les pires situations. Par exemple : « Malbrough s’en va en guerre, mironton mironton mirontaine ! » ou «  en avant Fanfan la Tulipe oui mille non d’une pipe en avant ! »

 L’art du contre-pied, du décalage, la mise à l’envers du drame, elle vient de là. C’est ainsi que quand j’ai lu le texte de l’homme n’est pas bon, qui contient toute l’horreur de l’humanité, je me suis immédiatement mis à le faire sautiller joyeusement, comme on danse au bal du samedi soir dans le fin fond des villages, qu’on pourrait danser comme Chaplin et quand je t’en ai parlé, toi tu m’as parlé d’une fontaine de sang ! Comme quoi, cette vision burlesque de la scène était la seule qui s’offrait à nous pour porter l’horreur du texte. Par la suite en répétition, j’y ai rajouté des fulgurances d’harmonies baroques, une imitation de la légion étrangère, une citation hollywoodienne tout ça de manière très fugace, que le spectateur prenait au vol puis rejetait un peu comme on attrape une patate chaude.

 Quand on parle de l’Opérette, il faut forcément parler des chorales. Au début nous avions peur de l’idée que les gens qui venaient perturber le spectacle soient appelés « le peuple ». Pour ça je me suis dis qu’il fallait leur faire un costume musical magnifique et j’ai fait appel à mon ami Jean Yves Rivaud, grand maître de l’arrangement musical, et je lui ai demandé d’écrire des arrangements vocaux sublimes et il l’a fait ! Il fallait que le « peuple » soit meilleur en chant que les acteurs, alors nous avons mis en place tout un travail avec une répétitrice qui allait dans chaque ville un mois avant la représentation faire travailler ces voix très difficiles à réaliser et il faut bien dire que chaque chorale (amateur) a été au niveau. Ensuite, on les intégrait au spectacle, d’abord par mes soins puis par les tiens et le miracle avait lieu à chaque fois. Je crois qu’ils nous ont par leur présence poussés dans nos limites et forcés à être bons !

 

CB

 Dans le spectacle de Rabelais tu es revenu au cri primaire…

 

CP

 Là, j’ai été assez loin en effet ! Nous partions du souffle, qui devenait grognement, cri, onomatopée, mot, fanfare de mots et naissance du langage comme une symphonie. Là, il a fallu que j’invente pour les acteurs qui ne savent pas lire la musique une sorte de solfège provisoire qui permettait de mettre en place ce travail de fourmi. Les mots devenaient des instruments, par exemple les mots en O étaient plutôt des fonds des grosses caisses, les mots en I des clarinettes, les mots en A des saxophones puis les consonnes venaient régler tout ça, ce fut un long travail mais tellement payant au résultat. Le but c’était que le spectateur assiste à la naissance du langage pour qu’ensuite il comprenne très facilement le vieux français ! Et ce fût mission accomplie !

 

CB

 Le repas, l’Opérette, Rabelais pour moi tout partait de l’université et puis il y a eu Ubu…

 

 CP

 Ce qui est marrant dans notre histoire c’est que tout part toujours d’une blague !

 

CB

 (rires)

 

CP

 

Ca a commencé par une demande d’Armelle Dumoulin, une de tes élèves qui devait monter une scène avec une copine et qui avait vu l’Opérette et tout et tout. Je n’avais pas beaucoup de temps mais quand même j’ai esquissé vite fait une petite mélodie sur « c’est nous les palotins ». Le lendemain elle m’en demandait une autre, le surlendemain j’étais à Paris Huit avec toi et nous nous sommes mis à faire chanter UBU, nous avons retrouvé des chansons de Jarry dans d’autres textes et la magie musique-théâtre était de nouveau là !

 Moi je pense que le drame de la musique au théâtre se sont les compositeurs, je pense qu’au théâtre on ne doit pas démontrer la musique, on doit faire en sorte que la musique devienne acteur de ce qu’elle porte. Ce n’est pas le compositeur qui créé la chanson, c’est le personnage qui la savait déjà ? sinon c’est foutu !