VIE ET MORT D’UN PETIT MONGOLIEN

Texte de Christian Paccoud

Dire que tout a commencé par une histoire d’amour
Histoire d’amour banale, mais de l’amour quand même
Dire qu’on t’a attendu chaque nuit, chaque jour
Ta mère comptait les jours et ton père les semaines

On se doutait un peu mais on n’était pas sûr
Du moins c’est ce que disait ce bon vieux médecin
Qui prenait ses vacances sur la côte d’azur
Qui en avait vu d’autres, qui ne voyait plus rien

Seulement voilà bien là le résultat du mal
Qui habite le monde et toutes ses conventions
Tous ces petits esprits et leurs idées banales
Qui refusent sans le dire toutes les malfaçons

Au fil des jours et des années
La vie qui trace le dessin
Semblait t’avoir abandonné
A ta façade sans lendemain
Avec des yeux qui vous font peur
Avec un nez presque meurtri
Un œil qui semble voir ailleurs
Et qui survolera la vie
Avec des portes qui se ferment
Des fenêtres qui ne s’ouvrent pas
Avec un avenir si terne
Qu’il n’est même pas question que tu le vois
Pas question que tu vois
Pas question qu’on te voit

On te cache dessous les beaux draps d’un faux lit
On te crache dessus chaque jour chaque nuit
C’est là ta vie, tu es classé
Aux poubelles vides jeté
Certains voudraient même te tuer
Remarque on peut se consoler
Ils ne peuvent pas : c’est déjà fait
Du moins c’est que répétait ce bon vieux médecin
Qui avait sa famille dans le Limousin

Mais tu grandis quand même
Sans bonbons sans jouets
Sans soleil, sans je t’aime
Sans école, sans piquet
Mais tu es là c’est bien
Et tu vois après tout
C’est eux les mongoliens
Toi tu es leur joujou !

Allez viens, pleure pas
Regarde-toi, regarde-moi
Je n’ai pas peur !

Je ne t’emmène pas au pays des mendiants
Comme aurait pu le faire ce bon vieux médecin
Qui avait des maîtresses dans le Morbihan
Je t’emmène à la fête boire les filles et le vin

A partir de maintenant,
Tu t’appelles Frédéric
Et tu es mon cousin
Et surtout attention
Ne me prends pas la main
Tu es toi !

Regarde, ils te sourient
Ils t’invitent à danser
Ces gens sont tes amis
Tu peux les inviter
Les filles sont en sucre
Mais elles sont là c’est vrai
La musique fait son truc
Et le vin est tiré

Elle fait son crescendo
Et déjà toi tu danses
Tu es bien le plus beau
Et ton corps se balance
Tu rentres dans la ronde
Et la ronde est sans fin
C’est le bonheur qui tombe
Et refait le destin

Au fou ! Crie la vieille dame !
Cet homme est dangereux
Alertez les gendarmes
Vous-autres attrapez-le
Et par-dessus les cris
Sirènes fatidiques
Se dessinent képis
Et matraques de flic

L’ambulance se gare
Les affaires se corsent
Et pour ce beau départ
Camisoles de force
Viennent pour te punir
Pour te mourir

Comme tu t’étais enfui tu t’en va vers la mort
Mais elle sera pour toi comme une première enfance
Car à quoi sert sur terre la forme de son corps
Sinon à comparer et mesurer les chances

Du moins c’est ce que me disait ce bon vieux médecin
Qui est mort en pleurant dans mes bras, ce matin
Et c’est à ce moment là que j’ai compris pourquoi
Quand il prenait ta main, tu bégayais… pa…pa…