Les spectacles de Valère Novarina

 

Un animal chuté qui ressuscite en chantant

 

Dans LE REPAS, dans L’OPERETTE IMAGINAIRE, dans L’ORIGINE ROUGE, j’ai vu Christian PACCOUD attentif, entendre dans notre langue la musique captive et venir la libérer… Rien d’ornemental, de décoratif, de secondaire, de plaqué : Il sort de lui une musique vraie qui vient du centre profond, de la source rythmique de notre langue. Comme dans Schubert, Monteverdi, Debussy et Damia. Invisible ou visible sans jamais se montrer, il veille, il tient le temps entre ses mains : Il accompagne l’acteur dans sa passion : Il pousse l’homme aux extrêmes, « un animal chuté qui ressuscite en chantant »

 

Valère NOVARINA (2001)

 

1996 « Le repas » Création à Beaubourg

1998 « L’opérette imaginaire » création au Théâtre de la Bastille

2000 « L’origine rouge » création au Théâtre de la Colline

2003 « La scène » création au théâtre de Vidy (Lausanne)

2006 « L’espace furieux » création à la Comédie Française

2007 « L’acte inconnu » création au Festival d’Avignon, Cour d’honneur du Palais des Papes

2008 « Falstafe » création au Théâtre National de Chaillot

2009 « Képzeletbeli Operett (L’opérette imaginaire en hongrois) création au Théâtre Csokonai à Debrecen (Hongrie)

2011 « Le vrai sang » création au Théâtre de l’Odéon (Prix de la critique)

2012 « L’atelier volant » création au Théâtre du Rond-Point

2015 « Le vivier des noms » création au Festival d’Avignon, Cloitre des carmes

 

La collaboration de Christian Paccoud et Valère Novarina dure depuis vingt ans et s’est développée au fil de 13 spectacles, du Repas en 1996 au Viviers des noms en 2015. Une des particularités de leur collaboration est que Christian Paccoud, en plus d’être le compositeur des pièces est également présent sur scène, joue, chante et accompagne les acteurs.

 On peut supposer que leur rencontre se situe sur un traitement du souffle, souffle de la langue, de l’acteur et celui de la chanson. Un travail commun paraît les rassembler en ce qui concerne l’alchimie du rythme corporel interne et du rythme de la langue qui va permettre une ouverture du sens. Ainsi l’écriture de Valère Novarina agit sur le corps de l’acteur, et le chant va accompagner, par la structure du rythme et de la mélodie, ce travail « pneumatique » de la parole…

Les musiques de Christian Paccoud, et particulièrement les chansons, apparaissent par fragments, ouvrent des brèches à la fois inattendues et familières au sein de la pièce. Tout d’abord certaines mélodies contiennent, par associations d’idées ou par clins d’œil, tout un pan de la culture populaire. Par exemple à travers une ritournelle qu’il nous semble avoir déjà entendue. Les chansons font apparaître au cœur de la pièce une sorte de théâtre dans le théâtre, dans lequel la figure des personnages module pour devenir présenter encore d’autres « bonhommes du réel ». Le fait que les acteurs se mettent à chanter apporte toute une série de références historiques ou sociales qui surgissent au détour de trois notes, d’un rythme chaloupé, etc… La force évocatrice de cette culture commune est un immense moteur de comique, de connivence avec le spectateur, d’ « hommage », de non-dit… De plus, l’adresse au spectateur se trouve un peu modifiée par la chanson ; les acteurs semblent s’ouvrir comme des poupées russes, accentuant leur présence « kaléidoscopique ». On peut aussi remarquer que les chansons, comme certains éléments de décors, deviennent des éléments autonomes qui participent à l’élaboration d’un quasi « patrimoine » novarinien : certaines chansons reviennent d’une pièce à l’autre, renaissent un peu transformées, par bribes, comme des ruines renouvelées dans le présent de l’action scénique.

 

Mais si les chansons nous donnent d’une certaine façon des repères familiers, c’est pour les rebriser et les tordre immédiatement. Ainsi les mélodies nous « prennent par la main » au détour d’une réplique pour nous emmener simultanément au cœur de l’écriture de Novarina, par une autre voie, un autre rythme. On peut alors trouver un parallèle dans leur travail en qui concerne cette écriture par chocs, associations paradoxales et reliefs rythmiques… En effet, si les musiques accompagnent parfois l’écriture au plus près, elles sont aussi en tension, en antagonisme avec elle, et cette distorsion démultiplie l’ouverture de la parole et du sens. Le fait de mettre également de simples répliques en musique crée une nouvelle organisation de la phrase, une nouvelle construction sonore et corporelle qui éclaire les mots différemment.

 

D’autre part, il est intéressant de noter que Christian Paccoud écrit une dramaturgie de la musique tout au long de la pièce. L’apparition de sons, de bruits, de musique ou de chanson suit un mouvement cohérent qui épouse celui de la pièce, tant sur le plan de l’écriture, de la mise en scène ou de la scénographie. Ainsi comme par illusion sonore, la musique vient suspendre le temps, l’accélérer ou le redoubler. Et il en va de même pour l’espace : elle va l’ouvrir, le réduire ou le court-circuiter par un son au lointain, une traversée musicale, etc… Les différentes dramaturgies se superposent alors et jouent ensembles, et c’est sur ce socle aux bases croisées que les acteurs vont apparaître. D’ailleurs, le fait qu’il accompagne les acteurs sur scène permet à Christian Paccoud d’être au plus près du déroulement vivant de la parole et de ses accidents. On retrouve ici un emploi de la musique qui s’apparente à celui qu’en fait le cirque : elle se trouve au cœur de l’action scénique, elle peut en être le déclencheur, le moteur et le moyen de sa chute.

 

 Pour finir, le travail conjoint de Novarina et Paccoud irrigue le jeu des acteurs et l’ouverture de la parole à travers une recherche rythmique du sens. Leur travail semble se réunir au cœur de la langue. La composition vient s’entrechoquer et s’unir à l’écriture dans un mouvement global construit par fragments. La musique crée une double temporalité, un espace sonore qui accompagnent le déroulement de la pièce en dessinant également des aspérités et des vides à l’intérieur même de ceux de l’écriture. Comme un acteur, la musique entre et sort au rythme de la parole, accompagne la chute et se relève, crée une petite maison puis la fait disparaître aussitôt.